Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/44

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qu’à lui, et qu’au contraire, les sacrifices demandés par les souverains à têtes multiples revenaient au bien général. L’objection est assez vide. Les gouvernements légaux, pour être composés d’une agrégation d’hommes, n’en étaient pas moins un assemblage sans frein d’ambitions, de vanités, de passions, de préjugés humains. L’oppression pratiquée par eux était d’aussi belle et bonne étoffe que celle d’un seul chef ; elle avait le même vice moral, elle dégradait tout autant ses victimes. Peu m’importe si c’est Pisistrate ou les Alcméonides qui, suivant leur caprice, peuvent me dépouiller, me violenter, me déshonorer, me tuer ; dès que je sais qu’une prérogative si épouvantable existe au-dessus de ma tête, je tremble, je m’abaisse ; mes mains se joignent suppliantes ; je n’ai plus la conscience d’être un homme, relevant de la raison et de l’équité. Auprès de Pisistrate, une fantaisie inattendue peut me perdre ; auprès des Alcméonides, c’est un hasard de majorité. Avec ou sans la tyrannie, le gouvernement des cités grecques était exécrable, honteux, parce que, dans quelques mains qu’il tombât, il ne supposait pas l’existence d’un droit inhérent à la personne du gouverné, parce qu’il était au-dessus de toute loi naturelle, parce qu’il venait en droite ligne de la théorie assyrienne, parce que ses racines premières, certaines, bien qu’inaperçues, plongeaient dans l’avilissante conception que les races noires se font de l’autorité.

Il arriva, mais très souvent, que ces tyrans, si exécrés, si abhorrés des peuples grecs, les gouvernèrent pourtant avec beaucoup plus de douceur et de sagesse que leurs assemblées politiques. Guidé par un sens juste, le possesseur unique d’un droit absolu se contente aisément d’une certaine part dans cette omnipotence, et trouve tout à la fois peu de plaisir et point d’intérêt à tendre ses prérogatives jusqu’à les faire rompre. Cette réserve heureuse n’a jamais chance de se rencontrer dans des corps constitués, toujours enclins, au contraire, à agrandir leurs attributions, et en Grèce tout y conviait les magistratures, rien ne les en écartait.

Néanmoins, malgré les services que les tyrans pouvaient rendre et la douceur de leur joug, le point d’honneur voulait