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l’éclat de ses mérites, à l’importance de sa fortune, à l’étendue de son crédit. Plus donc il avait de moyens de renverser l’autorité légitime et de prendre sa place, plus il avait de raisons de n’y pas manquer. À défaut d’ambition, il y allait de son bien et de sa tête (1)[1]. Il s’ensuivit que le prétendu état républicain des villes grecques fut presque constamment éclipsé par l’accident inévitable des tyrannies, et ce qui devait faire l’exception se trouva la règle.

Aussitôt que régnait un tyran, on se plaignait de ce qu’on ne remarquait pas sous le gouvernement légal : on se plaignait de voir l’autorité excessive, arbitraire, dégradante ; et, avec toute raison, on la déclarait différente de l’organisation régulière des Macédoniens et des Perses, où la royauté, fixée et définie par les lois, se conformait aux mœurs et aux intérêts des races gouvernées.

En se montrant si sévère pour l’usurpation, on aurait dû réfléchir que le pouvoir des tyrans n’était pas une extension de l’ancien pouvoir : ce n’était rien de plus que les droits dont la patrie restait en tout temps investie. Le tyran, si atroce fût-il, n’aurait rien su pratiquer qui, un jour ou l’autre, n’eût déjà été mis en usage par l’administration normale. Ses prescriptions pouvaient sembler absurdes ou vexatoires ; toutefois, la patrie avait eu la primeur de l’invention. Le tyran ne se hasardait pas dans un seul sentier que les conseils républicains n’eussent frayé déjà.

On se rabattait sur ceci, que les excès de l’usurpateur ne profitaient



(1) Tant que toutes les républiques furent aristocratiques, et là où elles le restèrent, les tyrans sortirent des maisons nobles. Le régime de la démocratie fit naître les tyrans parmi les meneurs libéraux, ceux qu’on appelait les Æsymnètes, gens d’esprit pour la plupart, beaux diseurs, amis des arts, possédés du goût de bâtir, mais qui n’avaient pas envie de se faire justicier par les jaloux et préféraient prendre les devants sur ces derniers. Avec la démagogie, les tyrans surgirent de la boue. (Mac Cullagh, t. I, p. 36.) — C’est dans la peinture des despotes populaires qu’Aristophane excelle. Voir les Chevaliers, la Paix, etc., etc. La tyrannie fut la lèpre dont tous les gouvernements grecs eurent à souffrir sans pouvoir la guérir jamais. Elle était de leur essence.

  1. (1) Tant que toutes les républiques furent aristocratiques, et là où elles le restèrent, les tyrans sortirent des maisons nobles. Le régime de la démocratie fit naître les tyrans parmi les meneurs libéraux, ceux qu’on appelait les Æsymnètes, gens d’esprit pour la plupart, beaux diseurs, amis des arts, possédés du goût de bâtir, mais qui n’avaient pas envie de se faire justicier par les jaloux et préféraient prendre les devants sur ces derniers. Avec la démagogie, les tyrans surgirent de la boue. (Mac Cullagh, t. I, p. 36.) — C’est dans la peinture des despotes populaires qu’Aristophane excelle. Voir les Chevaliers, la Paix, etc., etc. La tyrannie fut la lèpre dont tous les gouvernements grecs eurent à souffrir sans pouvoir la guérir jamais. Elle était de leur essence.