Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/479

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c’est au contraire à l’opulence embarrassante des détails que notre débilité doit s’en prendre. Nous restons comme accablés sous le monceau des faits. Notre œil les distingue, les sépare, les pénètre avec une peine extrême, parce qu’ils sont trop nombreux et trop touffus, et c’est en nous efforçant de les classer que nos principales erreurs se commettent et nous fourvoient.

Nous sommes si directement en jeu dans les souffrances ou les joies, dans les gloires ou les humiliations de ce passé paternel, que nous avons peine à conserver en l’étudiant cette froide impassibilité sans laquelle il n’y a cependant pas de justesse de coup d’œil. En retrouvant dans les capitulaires carlovingiens, dans les chartes de l’âge féodal, dans les ordonnances de l’époque administrative, les premières traces de tous ces principes qui aujourd’hui excitent notre admiration ou soulèvent notre haine, nous ne savons pas le plus souvent contenir l’explosion de notre personnalité.

Ce n’est cependant pas avec des passions contemporaines, ce n’est pas avec des sympathies ou des répugnances du jour, qu’il convient d’aborder une pareille étude. Bien qu’il ne soit pas défendu de se réjouir ou de s’attrister des tableaux qu’elle présente, bien que le sort des hommes d’autrefois ne doive pas laisser insensibles les hommes d’aujourd’hui, il faut cependant savoir subordonner ces tressaillements du cœur à la recherche plus noble et plus auguste de la pure réalité. En imposant silence à ses prédilections, on n’est que juste, et partant plus humain. Ce n’est pas seulement une classe, ce ne sont plus quelques noms, qui dès lors intéressent, c’est la foule entière des morts  ; ainsi cette impartiale pitié que tous ceux qui vivent, que tous ceux qui vivront ont le droit d’exciter, s’attache aux actes de ceux qui ne sont plus, soit qu’ils aient porté la couronne des rois, le casque des nobles, le chaperon des bourgeois ou le bonnet des prolétaires. Pour arriver à cette sérénité de vue, il n’est d’autre moyen que de se refroidir en parlant de nos pères au même degré que nous le sommes en jugeant les civilisations moins directement parentes. Alors ces aïeux ne nous apparaissent plus, et c’est déjà