Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/487

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

germaniques. Les rois, chefs instinctifs du mouvement romain, eurent encore bien de la peine à venir à bout de ces suprêmes efforts. Des convulsions générales et terribles, des douleurs universelles, déchirèrent ces temps héroïques. Personne n’y fut à l’abri des plus méchants coups de la fortune. Comment donc ne pas mettre un grain de mépris dans le sourire, à voir de nos jours ce qui s’appelle philanthropie croire légitime de s’apitoyer sur ce qu’étaient alors les basses classes, compter les chaumières détruites, et supputer le dommage des moissons ravagées ? Quel bon sens, quelle vérité, quelle justice de rapporter les choses du Xe siècle à la même mesure que les nôtres ! Il s’agit bien là de moissons, de chaumières et de paysans mal satisfaits ! Si l’on a des larmes en réserve, c’est à la société tout entière, c’est à toutes les classes, c’est à l’universalité des hommes qu’on les doit.

Mais pourquoi des larmes et de la pitié. Cette époque n’appelle pas la compassion. Ce n’est pas le sentiment que fait naître la lecture attentive des chroniques, soit que l’on s’arrête sur les pages austères et belliqueuses de Ville-Hardouin, sur les récits merveilleux de l’Aragonais Raymond Muntaner, ou sur les souvenirs pleins de sérénité, de gaieté, de courage, du noble Joinville, soit qu’on parcoure la biographie passionnée d’Abélard, les notes plus monacales et plus calmes de Guibert de Nogent, ou tant d’autres écrits pleins de vie et de charme qui nous sont restés de ces temps, l’imagination est confondue par la dépense de cœur, d’intelligence et d’énergie qui s’y fait de toutes parts. Souvent plus enthousiaste que sèchement raisonnable dans ses applications, la pensée d’alors est toujours vigoureuse et saine. Elle est inspirée par une curiosité, par une activité sans bornes ; elle ne laisse rien sans y toucher. En même temps qu’elle a des forces inépuisables pour alimenter sans relâche la guerre étrangère et la guerre intérieure, qu’à demi fidèle encore à la prédilection des Franks pour le glaive, elle entretient le fracas des armes de royaume à royaume, de cité à cité, de village à village, de manoir à manoir, elle trouve le goût et le temps de sauver les trésors de la littérature classique, et de les méditer d’une manière