Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/527

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dans le pays transmarin dont la nature mystérieuse lui avait plu ; il avait réuni des colons, hommes et femmes, fait des provisions, armé des vaisseaux, était parti, et n’était plus jamais revenu. Cette histoire avait pris un tel développement chez les Scandinaves du Groenland qu’en 1121 (1)[1] l’évêque Éric s’embarqua pour aller porter, à ce qu’on suppose, à l’antique colonisation islandaise les consolations et les secours de la religion, et les maintenir dans la foi, où on se plaisait à croire qu’ils étaient demeurés fermes.

Ce ne fut pas seulement au Groenland et en Islande que cette tradition s’établit. De l’Islande, où elle avait évidemment vu le jour, elle était passée en Angleterre, et y avait si bien pris créance, que les premiers colons britanniques du Canada ne cherchaient pas moins activement, dans leur nouvelle possession, les descendants de Madok, que les Espagnols, sous Christophe Colomb, avaient cherché les sujets du grand khan de la Chine à Hispaniola. On crut même avoir trouvé la postérité des émigrants gallois dans la tribu indienne des Mandans. Tous ces récits, encore une fois, sont obscurs sans doute ; mais on ne peut contester leur antiquité, et il existe encore bien moins de raisons de douter de leur parfaite et irréprochable exactitude.

Il en résulte pour les Islandais, mais très probablement pour les Islandais d’origine scandinave, une certaine auréole de courage aventureux et de goût des entreprises lointaines. Cette opinion esi appuyée par la circonstance incontestable qu’en 795 des navigateurs de la même nation avaient débarqué dans l’Islande, encore inoccupée, et y avaient établi des moines (2)[2]. Trois Norwégiens, le roi de mer Naddok et les deux héros Ingulf et Iliorleïf, suivirent cet exemple, et amenèrent sur l’île, en 874, une colonie composée de nobles Scandinaves qui, fuyant devant les prétentions despotiques d’Harald aux beaux

  1. (1) Rafn, Antiq. americ, p. 262 : « Excerpta ex annalibus Islandarum : ann. 1121 : Eiriker Biskup af graenlandi for at leita Vinlands. »
  2. (2) A. de Humboldt, Examen critique de l’histoire de la géographie du nouveau continent, t. II, p. 90 et pass.