Page:Gobineau Essai inegalite races 1884 Vol 2.djvu/530

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subitement par des convulsions de la nature. On peut contempler encore aujourd’hui des restes d’habitations et d’églises fort nombreuses qui évidemment ont été quittées, et ne s’écroulent que sous l’action du temps et de l’abandon. Ces restes ne révèlent aucune trace d’un cataclysme qui aurait englouti ceux qui les habitaient jadis. Il faut donc de toute nécessité que ces derniers, en désertant leurs demeures, aient été chercher ailleurs un autre séjour. Où sont-ils allés ?

On a voulu à toute force les retrouver individuellement, un à un, dans les États du nord de l’Europe, et on a oublié qu’il ne s’agissait pas d’hommes isolés, mais de véritables populations qui, arrivant en masse en Norwège, en Hollande, en Allemagne, auraient excité une attention dont les récits des chroniqueurs auraient conservé la trace, ce qui n’est pas. Il est plus admissible, il est plus raisonnable de croire que les Scandinaves Groënlandais et une partie des hommes de l’Islande, ayant depuis longues années connaissance des territoires fertiles et bien boisés, du climat doux et attrayant du Vinland, et s’étant fait une habitude de parcourir les mers occidentales, échangèrent peu à peu pour cette résidence, de tous points préférable, des contrées qui leur devenaient inhabitables, et qu’ils émigrèrent en Amérique, absolument comme leurs compatriotes de Suède et de Norwège avaient naguère passé de leurs rochers du nord dans la Russie et dans les Gaules (1)[1].

  1. Les Scandinaves de l’Islande et du Groenland, vivant sous le régime des odels, s’occupaient beaucoup plus de l’histoire des familles que de celle de la nation. Aussi la plupart des documents dont je me suis servi ne sont-ils que des chroniques domestiques et des chants destinés à célébrer les exploits d’un héros. Dans cet état de choses, on conçoit que presque toutes les relations de voyages se soient perdues et aient disparu avec les familles qu’elles glorifiaient. Il ne nous reste d’un peu étendu que ce qui a rapport à la race d’Erik le Roux. Il est donc extrêmement possible que, si les marins de cette maison se sont toujours préoccupés du Vinland, qu’ils avaient découvert et qui était pour eux une sorte de possession, d’autres se soient dirigés de préférence sur divers points leur appartenant au même titre. C’est une hypothèse, sans doute, mais elle est naturelle, et voici qui la soutient : un planisphère islandais de la fin du XIIIe siècle divise la terre en quatre parties : l’Europe, l’Asie, l’Afrique, et une quatrième qui occupe à elle seule tout un hémisphère et qui est appelée Synnri-bigd ; ou région méridionale de la terre habitée. Cette carte a été publiée déjà dans plusieurs occasions. Elle n’est pas d’ailleurs unique, et démontre que les Islandais attribuaient une très grande étendue vers le sud au continent américain : donc ils ne s’étaient pas bornés à en visiter l’hémisphère boréal.