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dans les journaux de Montréal, à la page des annonces, que M***, épicier, gentilhomme, tient telle denrée à la disposition du public.

Ce n’est pas là un usage indifférent ; il indique chez les démocrates du nouveau monde une disposition à se rehausser qui fait un contraste bien complet avec les goûts tout opposés des révolutionnaires de l’ancien. Chez ces derniers, la tendance est, au contraire, à descendre au plus bas possible, afin de ravaler les essences ethniques les plus hautes et les moins nombreuses au niveau des plus basses, qui, par leur abondance, donnent le ton et dirigent tout.

Le groupe anglo-saxon ne représente donc pas parfaitement ce qu’on entend, de ce côté de l’Atlantique, par le mot démocratie. C’est plutôt un état-major sans troupes. Ce sont des hommes propres à la domination, qui ne peuvent pas exercer cette faculté sur leurs égaux, mais qui la feraient volontiers sentir à leurs inférieurs. Ils sont, sous ce rapport, dans une situation analogue à celle des nations germaniques peu de temps avant le Ve siècle. Ce sont, en un mot, des aspirants à la royauté, à la noblesse, armés des moyens intellectuels de légitimer leurs vues. Reste à savoir si les circonstances ambiantes s’y prêteront. Quoi qu’il en soit, veut-on aujourd’hui considérer en face et examiner à son aise l’homme redouté qui s’appelle un barbare dans le langage des peuples dégénérés qui le redoutent ? Qu’on se place à côté du Mexicain, qu’on l’écoute parler, et, suivant la direction de son regard effrayé, on contemplera le chasseur du Kentucky. C’est la dernière expression du Germain ; c’est là le Frank, le Longobard de nos jours ! Le Mexicain a raison de le qualifier de barbare sans héroïsme et sans générosité ; mais il ne faut pas sans doute qu’il soit sans énergie et sans puissance.

Ici cependant, quoi qu’en disent les populations effrayées, le barbare est plus avancé dans les branches utiles de la civilisation qu’elles ne le sont elles-mêmes. Cette situation n’est pas sans précédents. Quand les armées de la Rome sémitique conquéraient les royaumes de l’Asie inférieure, les Romains et les hellénisés se trouvaient avoir puisé leur mode de culture