Voici le fait. Un petit malheur d’hasard nous sauve très souvent de grandes infortunes.
Laverdure, déguisé à son ordinaire, était en chemin pour rendre sa visite à Rozette. Il est bon que vous remarquiez, cher marquis, que le drôle en était un peu amoureux, et qu’en faisant exactement mes affaires, il croyait qu’il avançait les siennes ; deux motifs bien puissants le conduisaient, l’intérêt et l’amour, il n’est point étonnant qu’il fût si animé à exécuter mes ordonnances. Dans sa route il fut rencontré par deux jeunes gens qui, la tête encore un peu échauffée du vin de Champagne dont ils avaient abondamment éprouvé les piquantes douceurs, l’arrêtèrent et, après l’avoir considéré quelque temps, s’imaginèrent avoir trouvé en lui une déesse des plus charmantes, et en conséquence voulaient que sa divinité les conduisit dans un temple où ils pussent lui faire des offrandes proportionnées à ses mérites. Vous voyez, marquis, que le bandeau que Bacchus met sur les yeux des mortels est plus épais encore que celui de l’amour : l’un empêche de voir, mais l’autre fait voir trouble ; rien n’est plus pernicieux qu’une fausse lumière.
Laverdure se défendit en vain, il essuya les compliments les plus flatteurs, se vit donner les épithètes les plus tendres : il m’a avoué que, quoique d’un sexe qui n’entend pas ordinairement de fadeurs et qui ne fait qu’en débiter, il avait senti la tentation à laquelle on expose une jolie femme en lui détaillant des fleurettes. Ne pouvant se débarrasser de leurs mains et craignant qu’en affectant trop la femme d’honneur, on ne vînt à examiner de trop près cet honneur-là, qui, comme tout autre, perd souvent à l’examen, il invita ces messieurs à venir se reposer chez lui ; ces jeunes entreprenants lui avaient demandé cette faveur,