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Page:Godard d’Aucour - Thémidore, 1908.djvu/68

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Elle me fit un sourire pour tenter l’entreprise, j’y répondis, elle examina mes yeux, et surprit dans mon regard le présage de sa gloire à venir. Elle but à la déesse de la jeunesse, prononça quelques mots mystérieux, et après trois mouvements magiques elle fit voir son triomphe. On lui donna de grandes louanges et on convint, malgré la jalousie, que la fleur qu’elle avait fait éclore lui appartenait, et qu’elle en devait faire un bouquet pour mettre à son côté.

On se leva de table. Après quelques tours de jardin on fit un médiateur. Le président gagna beaucoup, il jouait d’un bonheur sans égal. Rozette en était outrée : ce n’est pas aux cartes où elle est belle joueuse ; elle nous répéta souvent qu’elle était en péché mortel, parce qu’elle ne voyait pas un as noir. Cependant elle trichait suivant le talent qu’elle en avait reçu. Argentine, que je conseillais, l’imitait au mieux. Le président s’en apercevait et en riait sous cape ; il sait comme vous et moi que toute femme triche, et que, même lorsqu’elles veulent être fidèles, l’habitude supplée à leur intention. Le souper fut délicat. Notre cuisinier se surpassa, et le président en tira vanité. En effet, c’est là ce qu’on appelle un homme essentiel : n’est-il pas plus estimable qu’un bel esprit mathématicien qui pique régulièrement votre table : celui-ci vous mange et l’autre vous fait manger.

Rozette et Argentine firent l’amusement du repas, par une infinité de chansons plus jolies les unes que les autres, qu’elles débitaient à l’envi. Laurette excitait à boire et faisait circuler la joie avec la mousse qu’elle excitait dans les verres.

Il est des bornes à tout, même à la folie. Le président devint rêveur, Laurette le fit sortir pour le distraire et le conduisit