Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/42

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vait répondre dignement à ces odieux préliminaires. Après les souffrances que j’endurais, quelle chance avais-je pour espérer d’être acquitté ? Quelle probabilité y avait-il que les juges devant lesquels j’aurais à paraître m’écouteraient plus favorablement que ceux qui avaient déjà prononcé sur ma cause dans la maison de M. Falkland ? Non, non, je me voyais condamné par anticipation.

Ainsi, dépouillé de tous les biens que donne l’existence, déchu de ces belles espérances auxquelles je m’étais si souvent livré, arraché de cette carrière d’honneur et de vertu au-devant de laquelle mon âme ardente aimait tant à s’élancer ; tout ce que m’offrait l’avenir, c’était quelques semaines consommées dans ce lieu misérable, pour aller ensuite recevoir la mort des mains de l’exécuteur public. Il n’y a pas de langage pour exprimer l’indignation et le dégoût affreux que ces idées excitaient dans mon âme. Mon ressentiment ne s’arrêtait pas à mon persécuteur, il s’étendait à la machine sociale tout entière. Je ne pouvais croire que tout ce qui m’arrivait fût le résultat d’institutions inséparables du bien général. Toute l’espèce humaine me paraissait composée de bourreaux et de tortionnaires. Je les regardais tous comme conjurés pour me déchirer en pièces ; et cet immense tableau d’une persécution inexorable me jetait dans un état d’angoisse impossible à décrire. J’examinais tour à tour ma situation sous ces deux faces. J’étais innocent : j’avais droit à l’assistance des hommes ; mais je ne voyais pas un cœur qui ne fût endurci contre moi, pas un