Page:Godwin - Caleb Williams, II (trad. Pichot).djvu/74

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

menottes. Pour ma première provision, le geôlier ne m’envoya qu’un morceau de pain noir et moisi, avec un peu d’eau fétide et bourbeuse. Je ne sais, à la vérité, si je dois regarder ceci comme un acte gratuit de tyrannie de la part du geôlier ; la loi ayant, dans sa sagesse, décrété que, dans certains cas, l’eau qui serait fournie aux prisonniers serait prise dans l’égout ou la mare la plus voisine de la geôle[1]. Il fut ordonné de plus qu’un des tourne-clefs passerait la nuit dans le cachot ou cabinet qui formait une sorte d’antichambre de mon logement. Bien qu’on eût pourvu cette petite pièce de toutes les commodités convenables pour y recevoir un personnage d’une dignité si supérieure aux malheureux qu’il était chargé de garder, il ne laissa pas de témoigner beaucoup de mécontentement d’une pareille mission ; mais il n’y avait pas d’alternative.

La nouvelle situation dans laquelle on venait de me mettre semblait la plus fâcheuse qu’il fût possible d’imaginer ; mais je ne me décourageai point. Il y avait déjà quelque temps que j’avais appris à ne plus juger sur les apparences. Le logement était sombre et malsain ; mais j’avais acquis le moyen de braver ces inconvénients. Ma porte était fermée continuellement, et tout commerce avec les autres prisonniers m’était interdit. Mais si c’est un plaisir d’entretenir des relations avec nos semblables, la solitude, d’un autre côté, ne laisse pas d’avoir ses charmes. Nous pouvons y suivre sans trouble le

  1. En cas de peine forte et dure. — Voyez les procès criminels d’État, vol. I, année 1615.