Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/112

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resterez ici jusqu’à ce que vous épousiez Grimes. Le ciel et l’enfer conjurés n’empêcheront pas que je ne vienne à bout de faire plier votre obstination.

— Homme impitoyable ! homme injuste ! ainsi, c’est assez pour vous que je n’aie ici personne pour me défendre ; mais je ne suis pas autant à votre merci que vous l’imaginez. Vous pouvez emprisonner mon corps, mais mon âme brave toutes vos violences. Épouser M. Grimes ! est-ce là le moyen que vous prenez pour m’y déterminer ? Chaque dureté, chaque injustice que je souffre ne fait que reculer encore le but de toutes vos indignités. Vous n’êtes pas accoutumé, dites-vous, à ce qu’on résiste à vos volontés ! Quand y ai-je jamais résisté ? Et, dans une affaire qui ne regarde absolument que moi, ma volonté sera comptée pour rien ! N’éprouvez-vous pas quelque honte d’établir un tel principe pour vous, et de ne pas souffrir qu’aucune autre créature puisse le réclamer pour soi ? Je n’ai pas besoin de vous ; comment osez-vous me disputer le privilége de tout être raisonnable, de vivre paisiblement dans la pauvreté et dans l’innocence ? Vous, qui prétendez à la considération et à l’estime de tous ceux qui vous connaissent, quelle sorte d’homme vous montrez-vous ici à mon égard ? »

Les reproches énergiques d’Émilie avaient d’abord causé à M. Tyrrel un mouvement de surprise, et il se sentait comme frappé de honte et de crainte en présence de cette victime innocente et sans défense ; mais sa confusion n’était qu’une suite de son étonnement. Quand la première émotion fut passée, la