Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/124

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se fît dans sa maison, voilà pourquoi, mon petit cœur, nous sommes venus jusqu’ici.

— Au nom du ciel, M. Grimes, pensez à ce que vous dites ! Vous ne pouvez pas être assez bas, assez lâche pour perdre une malheureuse créature qui s’est mise elle-même sous votre protection.

— Bon, bon, vous perdre ! oh ! que non ; je ferai de vous une honnête femme après cela. Allons, allons, laissez là tous vos grands airs ; vous avez beau chercher et attendre, il ne passe personne ici ; allez, je vous tiens aussi sûr que le poisson dans la nasse ; il n’y a pas seulement une chaumière d’ici à plus d’un mille, et, si je vous laisse échapper, ma belle, vous pouvez bien m’appeler une bûche. Par ma foi, vous êtes un morceau délicat, et il n’y a pas de temps à perdre.

Miss Melville n’eut qu’un instant pour recueillir toutes ses idées. Elle sentit qu’il y avait peu d’espoir de toucher la brute opiniâtre et insensible qui la tenait en son pouvoir. Mais la présence d’esprit et l’intrépidité qui lui étaient particulières ne l’abandonnèrent pas. À peine Grimes avait-il achevé sa harangue, qu’avec une forte et brusque secousse, elle lui arracha la bride de la main, et mit en même temps son cheval au galop. Elle avait déjà quelques pas d’avance, lorsque Grimes, revenu de sa surprise et mortifié au dernier point d’avoir à si bon marché perdu son avantage, se mit à la poursuivre. Le bruit de son cheval ne servit qu’à exciter celui d’Émilie ; soit hasard, soit sagacité, cet animal suivit sans se tromper le sentier étroit et tortueux qui