Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/150

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basilic. Où vous flattez-vous donc de trouver des cœurs de pierre capables de sympathiser avec le vôtre ? Allez, le malheur s’attache à vos pas, et un malheur sans espoir, sans pitié. »

En disant ces mots, M. Falkland pique des deux, quitte brusquement la place et disparaît bientôt. Ses maximes sur le point d’honneur n’avaient pu tenir contre l’excès de son indignation, et il n’avait vu dans son voisin qu’un misérable avec lequel on ne pouvait se quereller sans s’avilir. Pour celui-ci, il demeura sans mouvement et comme pétrifié. L’apostrophe enthousiaste de M. Falkland aurait anéanti l’adversaire le plus déterminé. En dépit de lui-même, M. Tyrrel était accablé de ses remords et hors d’état de repousser les traits dont on l’accablait. L’affreux tableau que lui avait présenté M. Falkland avait quelque chose de prophétique. Il y lisait tout ce qui formait l’objet principal de ses craintes, et ce qu’en secret il croyait déjà commencer à éprouver. Ce tableau était déjà tracé dans sa conscience ; c’était le spectre qui le poursuivait à toute heure, qui était l’objet de ses terreurs continuelles, et qui venait de prendre en quelque sorte un corps et une voix.

Il se remit pourtant peu à peu. Plus sa confusion passagère avait été forte, plus son ressentiment revint avec fureur. Jamais haine aussi profonde et aussi envenimée n’entra dans un cœur humain sans amener à sa suite la violence et la mort. Cependant M. Tyrrel ne se sentait pas disposé à satisfaire sa vengeance par un défi personnel. Ce n’est pas qu’il