Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/164

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préjugés du monde. « C’était bien cruel à lui d’être aussi fier, et d’aller lui dire qu’il ne consentirait jamais à épouser une pauvre orpheline ; mais s’il était si fier, elle était très-déterminée à l’être tout autant que lui. Elle lui ferait bien voir, par sa conduite, qu’elle n’était ni faible ni légère, et que, s’il la dédaignait, elle saurait supporter son malheur avec constance. » Une autre fois, elle voyait M. Tyrrel et son complice Grimes, les mains et les habits ensanglantés, et elle leur adressait des reproches si pathétiques, que le cœur le plus dur en aurait été touché. Ensuite Falkland revenait se présenter à son imagination délirante ; elle le voyait déchiré de mille blessures et couvert d’une pâleur mortelle ; elle poussait des cris déchirants ; elle accusait tout le monde d’insensibilité, de ne pas donner le moindre secours à celui qu’elle aimait. Ce fut ainsi qu’elle passa deux journées presque entières dans une succession continuelle de tortures, se voyant sans cesse entourée de persécuteurs et d’assassins.

Le soir du second jour arriva M. Falkland, accompagné du docteur Wilson, le médecin qui l’avait déjà traitée. La scène à laquelle il était appelé était affreuse pour un homme d’une sensibilité aussi vive que la sienne. La nouvelle de l’emprisonnement lui avait porté un coup terrible ; cet acte inouï de méchanceté l’avait mis hors de lui-même ; mais, quand il aperçut le visage hagard de miss Melville, quand il vit l’arrêt de mort écrit sur tous les traits de cette malheureuse victime d’un odieux tyran, il ne put soutenir ce spectacle. Au moment