Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/175

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sa fortune n’eût pu lui suffire pour acheter quelques témoignages de civilité de ses voisins, des paysans même des environs, à peine de ses propres domestiques. Enveloppé de l’indignation générale, il semblait poursuivi de toutes parts par un spectre qu’il ne pouvait éviter, et l’aiguillon cuisant du remords ne lui laissait pas un moment de paix. Le pays qu’il habitait devint ainsi de plus en plus insupportable pour lui, et il était évident qu’il serait à la fin obligé de l’abandonner. Le dernier trait de noirceur de M. Tyrrel avait rappelé le souvenir de tous ses autres excès, et le jugement qu’on portait sur lui se composait d’une longue liste de vexations et d’injustices passées qui venaient toutes à la fois retomber sur sa tête. On eût dit que le public avait longtemps recueilli tous ses ressentiments en silence pour les laisser éclater à la fin sur le tyran avec plus de violence.

Un châtiment aussi terrible ne pouvait guère frapper une personne moins capable de le supporter. Quoique M. Tyrrel n’eût pas ce sentiment intérieur d’innocence qui nous fait reculer d’effroi devant la haine et l’indignation de nos semblables, comme devant un monstre étranger à notre nature, cependant la trempe despotique de son âme et l’habitude constante de voir tout plier devant lui, l’avaient disposé à ne sentir qu’avec des émotions extraordinaires de courroux et d’impatience l’anathème universel auquel il était condamné. Que lui, qui d’un seul clin d’œil rendait tout le monde muet et immobile, lui que personne n’eût osé aborder dans