Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/229

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tions, et trahissait l’impression qu’elles lui faisaient tantôt d’une manière, tantôt d’une autre, souvent avant que je m’en fusse aperçu moi-même, quelquefois même avant qu’elles existassent. Notre situation à tous deux était affreuse : nous étions un fléau l’un pour l’autre ; souvent je ne pouvais comprendre qu’à la fin la patience et la bonté de mon maître ne fussent à bout, et qu’il ne se déterminât pas à se débarrasser pour jamais d’un observateur aussi insupportable. À la vérité, dans notre tourment commun, il y avait une différence essentielle entre sa part et la mienne. Moi, au milieu de mon agitation continuelle, j’avais quelque consolation. La curiosité porte avec soi ses plaisirs aussi bien que ses peines. L’esprit se sent aiguillonné sans relâche ; il est comme s’il touchait à chaque moment au but qu’il se propose ; et, attendu que c’est un désir insatiable de se satisfaire qui est son principe, il se promet dans cette satisfaction une jouissance inconnue, faite pour compenser, suivant lui, tout ce qu’il peut avoir à souffrir dans le cours de son entreprise. Mais pour M. Falkland, il n’avait aucune sorte de consolation. Ce qu’il avait à endurer dans nos relations respectives semblait un mal gratuit. Ce qu’il pouvait faire était de désirer qu’il n’y eût pas au monde un être tel que moi, et de maudire l’instant où son humanité l’avait porté à me tirer de l’obscurité pour me prendre à son service.

Je ne dois pas passer sous silence un des effets que produisit en moi la nature extraordinaire de ma position. L’état constant de soupçon et de vigilance