Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/230

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

dans lequel se trouvait mon esprit avait opéré un changement très-rapide dans mon caractère. Il paraissait y avoir fait tout ce qu’on aurait pu attendre d’une suite d’années d’observation et d’expérience. L’habitude où j’étais de fixer sans cesse un œil curieux et attentif sur ce qui se passait dans l’âme d’un homme et de me promener toujours au milieu d’une multitude toujours renaissante de conjectures, avait fait de moi, pour ainsi dire, un adepte fort habile dans la science des diverses manières dont se déploient les ressorts les plus secrets de l’intelligence humaine. Je ne me disais pas à moi-même, comme j’avais fait dans le commencement : « Je demanderai à M. Falkland si c’est lui qui est l’assassin ? » Au contraire, après avoir soigneusement examiné les différentes sortes d’évidences dont le sujet était susceptible, et m’être rappelé tout ce qui s’était passé, c’était avec une peine extrême que je me sentais hors d’état de découvrir aucun moyen qui pût me convaincre d’une manière complète et irrévocable de l’innocence de mon maître. Quant à la question de savoir s’il était coupable, il m’était presque impossible d’en venir à douter que, d’une manière ou d’une autre, plus tôt ou plus tard, je parviendrais certainement à l’éclaircir, si réellement il l’était. Mais je ne supportais pas d’arrêter ma pensée, ne fût-ce qu’un moment, sur ce côté de l’alternative comme sur un fait ; et, au milieu de ces pressantes conjectures que je ne pouvais réprimer et que faisaient naître tant de circonstances mystérieuses, malgré ce penchant d’un esprit jeune et sans expérience vers toutes les idées qui nour-