Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/231

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rissent son imagination de peintures sublimes ou terribles, je ne pouvais arriver à conclure la culpabilité de M. Falkland que par la supposition la plus improbable.

J’espère que le lecteur me pardonnera de m’arrêter si longtemps sur ces circonstances préliminaires ; je ne viendrai que trop tôt à l’histoire de mes malheurs. J’ai déjà dit qu’un des motifs qui m’engageaient à tracer ces mémoires était de trouver une distraction à des maux insupportables. Je trouve un triste plaisir à m’étendre sur des incidents qui m’ont imperceptiblement frayé la route vers l’abîme. Tandis que je me retrace ou que je cherche à décrire ces moments passés d’une époque plus heureuse de ma vie, mon attention se détourne pendant quelques instants de ce gouffre sans fond d’infortunes et de misère où je suis aujourd’hui plongé. Il serait bien dur et insensible, l’homme qui pourrait m’envier ce faible soulagement à mes peines. Je continue.

Après l’explication qui avait eu lieu entre mon maître et moi, sa sombre mélancolie, loin d’être adoucie le moins du monde par la main bienfaisante du temps, alla sans cesse en croissant. Ses accès de démence (car faute d’une dénomination propre, il faut bien que je les désigne par ce mot, quoique peu convenable sans doute dans le sens admis par la Faculté ou par les tribunaux) devinrent plus forts et plus durables que jamais. Il ne fut pas possible de les dérober entièrement à la connaissance des gens de la maison ni même des voisins. Quelquefois il restait deux ou trois jours absent de chez lui,