Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/240

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fille qui avait été la cause de ce malheur, mais il ne pouvait plus la regarder. Cette vue évoquait soudain une légion de démons déchaînés contre lui. Un malheureux moment avait empoisonné toutes ses espérances et lui avait rendu la vie à charge… En disant ceci, ses bras retombèrent le long de son corps, ses traits s’altérèrent, et il resta immobile, dans l’attitude du désespoir.

Telle était l’histoire que M. Falkland avait à écouter. Quoique les incidents fussent pour la plupart fort différents de ceux que j’ai eu à rapporter, et qu’il y eût eu dans la rencontre de ces deux villageois beaucoup moins de politique et de talents déployés de part et d’autre, cependant, pour un homme dont l’esprit était fortement imbu de la première de ces aventures, il y avait dans celle-ci beaucoup de traits propres à suggérer une ressemblance suffisante. Dans l’une comme dans l’autre, c’était un homme brutal et grossier que la bienveillance et la circonspection de son adversaire n’avaient pu fléchir, et qu’un coup soudain et terrible avait frappé au milieu de sa carrière. Cette analogie déchirait continuellement le cœur de M. Falkland. Dans un moment il tressaillait de surprise ; dans un autre il changeait sans cesse de posture, comme quelqu’un qui ne peut plus résister au mal qui le presse. Ensuite on voyait ses muscles se tendre de nouveau pour se monter au ton de la patience la plus opiniâtre ; mais, au milieu de l’inflexible immobilité de sa figure, j’aperçus une larme de douleur rouler dans ses yeux et s’échapper le long de