Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/248

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capable de se laisser aller à un pareil écart, doit paraître un homme dangereux ; combien devrait-il donc le paraître aux yeux d’une personne dans la situation où était M. Falkland ! Tout à l’heure j’avais eu un pistolet appuyé sur mon front par une main décidée à terminer mon existence. À la vérité le moment était passé ; mais qui savait ce que l’avenir me réservait encore ? ne sentais-je pas sur ma tête la vengeance, l’insatiable vengeance d’un Falkland, d’un homme que mon imagination me représentait avec des mains teintes de sang, et avec un cœur familiarisé au meurtre et à la cruauté ? Quelles ressources n’avait-il pas dans son esprit si inventif et si entreprenant, ressources dorénavant conjurées pour ma ruine ! Tel était pourtant le terme de cette fatale et indomptable curiosité, de cette impulsion que je m’étais représentée comme si simple et si excusable.

Dans l’effervescence de la passion, je n’avais pas songé aux conséquences. J’étais comme au sortir d’un rêve. Est-il donc dans la nature de l’homme de se précipiter de lui-même au fond des abîmes, ou de s’élancer sans hésiter au milieu des flammes ? Comment était-il possible que j’eusse oublié un seul instant l’air si imposant, si menaçant, si terrible de Falkland, et la fureur implacable que j’allais exciter dans son âme ? Il ne m’était pas entré dans l’esprit une seule idée sur ma sécurité à venir. J’avais agi sans le moindre plan. Je ne m’étais nullement occupé des moyens de cacher mon entreprise après qu’elle aurait été effectuée. Mais il n’était plus temps, une minute avait changé ma situation avec une