Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/252

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

cherchée et non pas moi ; elle m’est aussi odieuse qu’elle est dangereuse pour vous. »

Après ce préambule, il fit une pause. Il eut l’air de se recueillir comme pour un grand effort de courage. Il s’essuya le visage avec son mouchoir qui me parut baigné non pas de larmes, mais de sueur.

« Regardez-moi, observez-moi bien. N’est-il pas étrange qu’un être tel que moi conserve encore les traits d’une créature humaine ? Je suis le dernier des scélérats. Je suis le meurtrier de Tyrrel, je suis l’assassin des Hawkins. »

Je tressaillis d’effroi, mais je gardai le silence.

« Quelle histoire que la mienne ! insulté, déshonoré, couvert d’opprobre à la face d’une assemblée, je devins capable de tout acte de désespoir ; J’épiai le moment, je suivis M. Tyrrel hors de la salle, et, muni d’un couteau très-aigu qui se trouva sous ma main, j’allai derrière lui et le frappai au cœur. Le corps gigantesque de mon ennemi roula à mes pieds.

» Ce ne sont que les anneaux d’une même chaîne. Un outrage ! un meurtre ! Il fallut ensuite me défendre, il fallut débiter un mensonge assez bien ourdi pour qu’il pût en imposer à tous les hommes. Fut-il jamais de tâche plus pénible et plus insupportable ?

» Jusque-là, la fortune me secondait. Elle me favorisa par delà mes désirs : le soupçon fut écarté bien loin de moi ; il fut rejeté sur un autre ; mais c’était encore ce qu’il m’était réservé de souffrir. D’où provinrent contre tel autre ces indices accidentels,