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Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/253

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ces traces de sang, ce couteau brisé, c’est ce que je ne saurais vous dire. Je suppose que, par quelque hasard qui tient du prodige, il lui arriva de passer par là, et qu’il chercha à assister son persécuteur expirant. On vous a raconté l’histoire de Hawkins, vous avez lu une de ses lettres ; mais vous ne connaissez pas la millième partie des preuves que j’ai eues de la simple et inaltérable droiture de son cœur. Son fils périt avec lui, ce fils dont il avait voulu conserver le bonheur et la vertu, au prix de tout ce qu’il possédait, ce fils pour qui il avait affronté la misère, et pour qui il aurait donné cent fois sa vie… Non, jamais je ne saurais décrire les tourments que j’ai éprouvés.

» Et voilà donc ce que c’est qu’un gentilhomme !… un homme d’honneur ! J’étais l’adorateur aveugle de la considération. Ma vertu, ma probité, la paix de mon âme, j’ai pu tout sacrifier à cette insatiable idole ; mais ce qu’il y a de plus cruel, c’est que rien de ce qui est arrivé n’a contribué le moins du monde à me guérir. Cet amour frénétique de l’honneur et de la considération, je le porte encore plus que jamais dans mon cœur ; j’y tiendrai jusqu’au dernier souffle de ma vie. Quoique le plus noir des scélérats, je veux laisser après moi un nom sans tache et partout honoré. Il n’y a pas de forfait si atroce, pas de scène de sang si horrible, que la poursuite de cet objet ne puisse me faire entreprendre. Il n’importe que ces choses vues de loin excitent mon aversion… Je suis sûr de ce que je dis ; qu’on me mette à l’épreuve, je céderai. Je me