Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/260

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ne fût fort peu agréable à son frère ; et de son côté, M. Forester, imaginant qu’un pareil genre d’indisposition était de nature à augmenter à proportion du peu de résistance qu’on lui opposait, espéra que sa compagnie engagerait M. Falkland à se relâcher de ses habitudes solitaires. M. Falkland n’insista plus ; il n’aurait pas voulu marquer de froideur à un parent pour lequel il avait une estime particulière ; et, gêné par la crainte de laisser entrevoir ses véritables motifs, il n’osa pas pousser plus loin ses objections.

Sous bien des rapports, M. Forester était l’opposé de mon maître. Son seul aspect indiquait la singularité de son caractère. Ses yeux étaient enfoncés sous un front proéminent et d’épais sourcils ; son visage était court et angulaire, son teint basané et ses traits durs. Il avait beaucoup vu le monde ; mais à en juger par la rondeur et la simplicité de ses manières, on aurait pu croire qu’il n’était jamais sorti du coin de son feu.

Son humeur était aigre et pétulante : on s’étonnait de le voir s’offenser tout à coup d’une bagatelle, et relever durement l’erreur qui le choquait, comme pour vous humilier, sans égard pour votre sensibilité. Dans ces cas-là, il regardait la peur d’une remontrance comme une lâcheté qu’il fallait étouffer sans ménagement et sans indulgence. Comme c’est l’usage chez les hommes, il s’était formé une manière de penser conforme à cette bizarrerie d’humeur. Il prétendait qu’on devait dissimuler l’affection qu’on avait pour quelqu’un, de telle sorte qu’on lui rendît des services réels, mais en pre-