Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/286

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« que j’ai juré de conserver à tout prix ma réputation, qui m’est plus chère que l’univers et tous ses habitants pris ensemble ? Et vous avez cru pouvoir y toucher ! Allez, méchant reptile, cessez de lutter contre un pouvoir insurmontable. »

Cette phase de mon histoire est celle sur laquelle je réfléchis avec moins de complaisance. Comment se fit-il que je fus encore une fois entièrement subjugué par le ton impérieux de M. Falkland, et que je n’eus pas la force de proférer un mot ? Le lecteur aura occasion de s’apercevoir par la suite, en beaucoup de circonstances, que je ne manquais ni de facilité pour imaginer des ressources, ni de courage pour entreprendre ma justification. La persécution a donné à la fin de la fermeté à mon caractère, et elle m’a appris à me comporter en homme. Mais dans la circonstance actuelle, je fus étourdi, confondu, muet d’effroi et d’irrésolution.

Le discours que je venais d’entendre était dicté par un véritable délire, et il fit naître en moi un transport du même genre. Il me détermina à faire la chose même qu’on m’interdisait avec des menaces si redoutables, et à fuir sur-le-champ de la maison de mon maître. Je ne pouvais pas m’expliquer avec lui ; je ne pouvais pas non plus endurer le joug honteux qu’il m’imposait. Ce fut en vain que la raison vint à mon secours, et m’avertit de la témérité d’une mesure prise sans une préparation concertée. La raison n’avait plus de pouvoir sur mon âme. Il me semblait que je pouvais froidement examiner toutes les objections et tous les arguments