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Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/289

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Après avoir fait mon plan, le cœur rempli de joie, je poursuivis le sentier détourné où je me trouvais poussé. Il faisait une nuit fort sombre, et il tombait une petite pluie très-fine ; mais à peine m’en apercevais-je ; jamais le ciel ne m’avait paru si serein et si brillant. Mes pas touchaient à peine la terre. « Je suis libre, me répétais-je mille fois à moi-même. Qu’ai-je à démêler à présent avec les dangers et les alarmes ? Je sens que je suis libre ; je sens que je resterai toujours libre. Y a-t-il une puissance capable de retenir dans les chaînes une âme ardente et déterminée ? Y a-t-il une puissance qui ait le droit d’infliger la mort à un homme, quand toutes les facultés de son être lui commandent de vivre ? » Je ne reportais plus qu’un œil d’horreur et d’indignation sur le honteux assujettissement dans lequel j’avais été tenu. Je ne sentais pas de haine contre l’auteur de mes infortunes ; je puis le dire : la justice et la vérité ne me désavoueront pas ; je n’éprouvais que de la pitié pour la cruelle destinée à laquelle il semblait condamné. Mais ce n’était qu’avec un dégoût inexprimable que je pensais à ces erreurs qui font que chaque homme est réservé à être plus ou moins esclave ou tyran. Je ne pouvais revenir de l’aveuglement du genre humain, de ce qu’il ne se levait pas tout entier pour secouer le joug insupportable de la misère et de l’ignominie. Quant à moi, je pris bien la résolution (et c’est une résolution à laquelle je n’ai jamais entièrement manqué) de me tenir toujours hors de cet odieux théâtre, et de ne jamais remplir le rôle d’opprimé ni d’oppresseur.