Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/32

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dans son absence ; mais quand elle le vit de retour, elle se décida à profiter d’une occasion qui ne se retrouverait peut-être jamais : elle témoigna le désir de lire des passages choisis de nos poëtes avec un Anglais qui avait autant de goût que M. Falkland.

Cette proposition amena nécessairement un commerce plus fréquent. Le comte Malvesi revint à son tour, et trouva M. Falkland établi dans le palais de Pisani, presque comme un commensal de la maison. Il ne fut pas maître de lui dans une situation aussi critique. Peut-être sentait-il en secret toute la supériorité du voyageur anglais, et tremblait-il que ces deux personnes n’eussent déjà fait dans le cœur l’un de l’autre bien des progrès, même avant d’y avoir songé. Il regardait l’alliance de Lucretia comme faite, sous tous les rapports, pour flatter l’ambition de M. Falkland, et il ne pouvait souffrir l’idée de se voir enlever par cet étranger d’au delà les monts celle qui faisait tout le charme de sa vie.

Il eut encore assez de prudence néanmoins pour commencer par aller demander à Lucretia une explication. Celle-ci le reçut en riant et plaisanta sur son inquiétude. La patience du pauvre comte était déjà à bout, et il se mit à répéter ses interrogations dans des termes que l’altière Lucretia n’était pas d’humeur à écouter tranquillement. Elle avait été habituée à rencontrer partout de la déférence et de la soumission : quand elle eut surmonté cette première impression de terreur que lui avait d’abord inspiré le ton impérieux sur lequel elle s’entendait