Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/33

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catéchiser pour la première fois, son mouvement fut celui du plus vif ressentiment. Elle ne voulut pas prendre la peine de répondre à l’impertinent questionneur, et elle se permit même de laisser tomber exprès quelques mots obliques propres à fortifier encore ses soupçons. La présomption et la folie du comte furent un moment tournées en ridicule. Après lui avoir lancé quelques sarcasmes des plus amers, changeant tout à coup de style, Lucretia lui défendit de jamais se présenter devant elle autrement que sur le pied d’une simple connaissance, en lui déclarant qu’elle était déterminée à ne plus s’exposer dorénavant à s’entendre traiter d’une manière aussi indigne. « Il était fort heureux pour elle qu’il eût enfin développé son véritable caractère, et elle saurait très-bien profiter de l’expérience qu’elle en faisait pour éviter à l’avenir de retomber dans le même danger. » Toute cette explication se ressentit des premiers mouvements d’une irritation mutuelle, et Lucretia n’eut pas le temps de réfléchir à la conséquence d’exaspérer ainsi son amant.

Le comte Malvesi la quitta en proie à toutes les tortures de la jalousie. Il s’imagina que cette scène était préméditée pour trouver un prétexte de rompre un engagement solennel ; ou plutôt mille conjectures opposées déchiraient son cœur dans tous les sens. Tantôt il rejetait la faute sur Lucretia et tantôt sur lui-même ; il s’accusait, il accusait sa maîtresse, il accusait tout le monde. Ce fut dans cet état qu’il courut à l’hôtel du gentilhomme anglais. Le moment des éclaircissements était passé, et il se sentait entraîné