Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

avait été créé pour passer sa vie cloué sur un fauteuil, à pâlir sur des livres. À l’entendre, ajoutait-il, on ferait fort bien de laisser là tous ces exercices, qui procurent tant de distraction pour le moment, et qui donnent pour l’avenir une santé si robuste, afin de se livrer au noble travail de se creuser la tête pour trouver une rime et scander un vers sur ses doigts. Autant vaudrait un peuple de singes que des hommes de cette espèce. Pour mettre en fuite une pareille nation, il ne faudrait qu’un régiment de nos vieux Anglais nourris de bœuf et de pudding. Il terminait ces diatribes en déclarant n’avoir jamais vu le savoir servir à autre chose qu’à rendre les gens pleins de fatuité et d’impertinence. Un homme sensé ne pourrait rien désirer de pire aux ennemis de son pays que de les voir tous se livrer à ces dangereuses absurdités. Était-il possible qu’on eût sérieusement quelque estime pour une espèce aussi ridicule que ces Anglais d’outre-mer, de fabrique étrangère ? Mais il n’ignorait pas ce qui en était. On jouait là une mauvaise pièce pour le vexer, et il jurait de s’en venger sur tous de la belle manière.

Si M. Tyrrel avait cette opinion de M. Falkland, il trouvait ample matière à exercer sa patience dans les discours de ses voisins sur le même sujet. Tandis qu’il ne voyait rien en M. Falkland qui ne fût digne de mépris, ceux-ci semblaient ne pouvoir se lasser de chanter ses louanges. Que de dignité, que d’affabilité dans toutes ses manières ! quelle attention continuelle pour les autres ! quelle délicatesse de sentiments et de langage ! Instruit sans ostentation,