Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/79

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elle se figurait d’ailleurs que cet exemple de docilité et d’instruction agirait sur son bien-aimé Barnabas, seul mobile indirect qu’elle se permît d’employer avec lui, prévenant toute punition et ne devinant pas que la littérature et la science avaient des attraits par elles-mêmes.

Émilie, à mesure qu’elle croissait en âge, développa une sensibilité extrême, qualité qui aurait été, dans sa situation, une source de peines continuelles, sans sa grande douceur et la facilité de son caractère. Elle était loin d’être ce qu’on peut appeler une beauté. Sa taille était petite et commune, son teint celui d’une brune, et son visage assez marqué de petite vérole pour avoir perdu le poli et le velouté de la peau, mais non pas assez pour avoir perdu son expression. Quoiqu’elle ne fût pas jolie, elle avait pourtant quelque chose de singulièrement intéressant. Sa figure respirait à la fois la santé et la délicatesse ; ses longs sourcils noirs se pliaient avec facilité aux divers mouvements de son âme, et ses regards portaient à la fois l’empreinte d’un discernement actif et d’une franchise enjouée. L’instruction qu’elle avait reçue, étant le fruit du hasard et des circonstances, l’avait bien exemptée des défauts qu’entraîne l’ignorance, mais non pas de cette sorte d’ingénuité naturelle qui annonce une âme incapable de songer au mal ou d’en soupçonner chez les autres. Elle amusait, sans paraître penser à la finesse et à la justesse de ses observations ; ou plutôt, n’ayant jamais été gâtée par des éloges, elle brillait de ses qualités naturelles et suivait les inspi-