Page:Godwin - Caleb Williams, I (trad. Pichot).djvu/94

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posé de M. Falkland. Grimes n’était pas précisément un garçon qui eût des inclinations vicieuses, mais il était grossier et rustre au dernier point. Son teint était celui d’un sauvage ; il avait les lèvres épaisses, la voix rauque, tous les traits de son visage durs et sans harmonie. Enfin, de la tête aux pieds, rien n’était plus repoussant que toute sa personne. Il n’avait rien de méchant dans le caractère, mais il était tout à fait incapable de tendresse, et ne pouvait pas comprendre dans les autres des sentiments dont il ne trouvait aucun germe en lui-même. Habile boxeur, il était porté par inclination aux amusements où se déploie la force, et les jeux de main étaient pour lui des plaisanteries favorites qu’il ne regardait pas comme injurieuses quand elles ne laissaient aucunes traces après elles. En général, ses manières étaient très-bruyantes ; il n’avait pas la moindre attention pour les autres et était opiniâtre dans ses volontés, non par une vraie dureté de caractère, mais parce qu’il n’était nullement susceptible de ces impressions délicates qui jouent un si grand rôle dans des organisations plus délicates.

Tel était l’être à demi civilisé que la malice ingénieuse de M. Tyrrel avait cherché comme le plus propre à ses desseins. Jusqu’à ce moment l’oppression du despotisme ne s’était guère fait sentir à Émilie ; son heureuse insignifiance lui avait tenu lieu de protection : personne n’avait imaginé qu’elle valût la peine qu’on employât pour elle ces mille petites entraves dont on tourmente les filles nées dans l’opulence. On pouvait la comparer au faible oiseau