Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/330

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sante voix, qui avait remué l’Allemagne, ne trouvait plus que de faibles échos et pas une voix digne de répondre à son appel.

Le génie n’aperçoit pas un chaos sans qu’il lui prenne envie d’en faire un monde ; ainsi Gœthe s’élança avec délices au milieu de toute cette confusion, et son premier ouvrage, Goëtz de Berlichingen, fixa tous les regards sur lui. C’était en 1773 ; il avait alors vingt-quatre ans. Ce drame national, qui ouvrait à la scène allemande une nouvelle carrière, valut à son auteur d’universels applaudissements ; mais, comme il n’avait pu trouver de libraire pour le publier et qu’il l’avait fait imprimer lui-même, il fut embarrassé pour en payer les frais, à cause d’une contrefaçon qui lui ravit son bénéfice. Werther parut un an après, et chacun sait quel bruit fit ce roman dans toute l’Europe. « Ce petit livre, dit Gœthe lui-même, fit une impression prodigieuse, et la raison en est simple : il parut à point nommé ; une mine fortement chargée, la plus légère étincelle suffit à l’embraser ; Werther fut cette étincelle. Les prétentions exagérées, les passions mécontentes, les souffrances imaginaires, tourmentaient tous les esprits. Werther était l’expression fidèle du malaise général ; l’explosion fut donc rapide et terrible. On se laissa même entraîner par le sujet ; et son effet redoubla sous l’empire de ce préjugé absurde qui suppose toujours à un auteur dans l’intérêt de sa dignité l’intention d’instruire. On oubliait que celui qui se borne à raconter n’approuve ni ne blâme, mais qu’il tâche à développer simplement la succession des sentiments et des faits. C’est par là qu’il éclaire, et c’est au lecteur à réfléchir et à juger. »

De ce moment commença cette sorte de fanatisme de toute l’Allemagne pour Gœthe, qui faisait dire à madame de Staël, « que les Allemands chercheraient de l’esprit dans l’adresse d’une lettre écrite de sa main. » Les ouvrages qu’il fit paraître successivement vers cette époque peuvent, il est vrai, nous le faire comprendre, et sont maintenant assez connus en France pour que nous nous dispensions d’en faire l’éloge ; il suffit de nommer Faust,