Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/366

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gouffre de Charybde. « Est-il un homme de cœur qui veuille s’y précipiter ? »

Les chevaliers, les vassaux ont entendu ; mais ils se taisent, ils jettent les yeux sur la mer indomptée, et le prix ne tente personne. Le roi répète une troisième fois : « Qui de vous osera donc s’y plonger ? »

Tous encore gardent le silence ; mais voilà qu’un page à l’air doux et hardi sort du groupe tremblant des vassaux. Il jette sa ceinture, il ôte son manteau, et tous les hommes, toutes les femmes admirent son courage avec effroi.

Et, comme il s’avance sur la pointe du rocher en mesurant l’abîme, Charybde rejette l’onde, un instant dévorée, qui dégorge de sa gueule profonde, avec le fracas du tonnerre.

Les eaux bouillonnent, se gonflent, se brisent et grondent comme travaillées par le feu ; l’écume poudreuse rejaillit jusqu’au ciel, et les flots sur les flots s’entassent, comme si le gouffre ne pouvait s’épuiser, comme si la mer enfantait une mer nouvelle !

Mais enfin sa fureur s’apaise, et, parmi la blanche écume apparaît sa gueule noire et béante, ainsi qu’un soupirail de l’enfer ; de nouveau l’onde tourbillonne et s’y replonge en aboyant.

Vite, avant le retour des flots, le jeune homme se recommande à Dieu, et… l’écho répète un cri d’effroi ! les vagues l’ont entraîné, la gueule du monstre semble se refermer mystérieusement sur l’audacieux plongeur… Il ne reparaît pas !

L’abîme, calmé, ne rend plus qu’un faible murmure, et mille voix répètent en tremblant : « Adieu, jeune homme au noble cœur ! » Toujours plus sourd, le bruit s’éloigne, et l’on attend encore avec inquiétude, avec frayeur.

Quand tu y jetterais ta couronne, et quand tu dirais : « Qui me la rapportera l’aura pour récompense et sera roi… » un prix si glorieux ne me tenterait pas ! — Âme vivante n’a redit les secrets du gouffre aboyant !