Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/367

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Que de navires, entraînés par le tourbillon, se sont perdus dans ses profondeurs ; mais il n’a reparu que des mâts et des vergues brisés au-dessus de l’avide tombeau. — Et le bruit des vagues résonne plus distinctement, approche, approche, puis éclate.

Les voilà qui bouillonnent, se gonflent, se brisent, et grondent comme travaillées par le feu ; l’écume poudreuse rejaillit jusqu’au ciel, et les flots sur les flots s’entassent, puis, avec le fracas d’un tonnerre lointain, surmontent la gorge profonde.

Mais voyez : du sein des flots noirs s’élève comme un cygne éblouissant ; bientôt on distingue un bras nu, de blanches épaules qui nagent avec vigueur et persévérance… C’est lui ! de sa main gauche, il élève la coupe, en faisant des signes joyeux !

Et sa poitrine est haletante longtemps et longtemps encore ; enfin le page salue la lumière du ciel. Un doux murmure vole de bouche en bouche : « Il vit ! il nous est rendu ! le brave jeune homme a triomphé de l’abîme et du tombeau ! »

Et il s’approche, la foule joyeuse l’environne ; il tombe aux pieds du roi, et, en s’agenouillant, lui présente la coupe. Le roi fait venir son aimable fille, elle remplit le vase jusqu’aux bords d’un vin pétillant, et le page, ayant bu, s’écrie :

« Vive le roi longtemps ! — Heureux ceux qui respirent à la douce clarté du ciel !… le gouffre est un séjour terrible ; que l’homme ne tente plus les dieux, et ne cherche plus à voir ce que leur sagesse environna de ténèbres et d’effroi.

« J’étais entraîné d’abord par le courant avec la rapidité de l’éclair, lorsqu’un torrent impétueux, sorti du cœur du rocher, se précipita sur moi ; cette double puissance me fit longtemps tournoyer comme le buis d’un enfant, et elle était irrésistible.

« Dieu, que j’implorais dans ma détresse, me montra une pointe de rocher qui s’avançait dans l’abîme ; je m’y accrochai d’un mouvement convulsif, et j’échappai à la