Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/371

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« Un homme n’a qu’une parole ! » s’écrie-t-il, et maître Jean part gaiement avec son emplette.

Le noble cheval est attelé ; mais à peine sent-il une charge inconnue, qu’il s’élance indigné, et d’une secousse impétueuse jette le chariot dans un fossé : « Oh ! oh ! dit maître Jean, ce cheval est trop vif pour ne mener qu’une charrette. Expérience vaut science ; demain j’ai des voyageurs à conduire, je l’attellerai à la voiture ; il est assez fort pour me faire le service de deux autres chevaux, et sa fougue passera avec l’âge. »

D’abord tout alla bien ; le léger coursier communiquait son ardeur à l’indigne attelage dont il faisait partie, et la voiture volait comme un trait. Mais qu’en arriva-t-il ? Les yeux fixés au ciel, et peu accoutumé à cheminer d’un pas égal, il abandonne bientôt la route tracée, et, n’obéissant plus qu’à sa nature, il se précipite parmi les marais, les champs et les broussailles ; la même fureur s’empare des autres chevaux ; aucun cri, aucun frein ne peut les arrêter, jusqu’à ce que la voiture, après maintes culbutes, aille enfin, au grand effroi des voyageurs, s’arrêter toute brisée au sommet d’un mont escarpé.

« Je ne m’y suis pas bien pris, dit maître Jean un peu pensif, ce moyen-là ne réussira jamais ; il faut réduire cet animal furieux par la faim et par le travail. » Nouvel essai. Trois jours après déjà, le beau Pégase n’est plus qu’une ombre. « Je l’ai trouvé ! s’écrie notre homme ; allons ! qu’il tire la charrue avec le plus fort de mes bœufs. »

Aussitôt fait que dit ; la charrue offre aux yeux l’attelage risible d’un bœuf et d’un cheval ailé. Indigné, ce dernier fait d’impuissants efforts pour reprendre son vol superbe. Mais en vain ; son compagnon n’en va pas plus vite, et le divin coursier est obligé de se conformer à son pas, jusqu’à ce que, épuisé par une longue résistance, la force abandonne ses membres, et que, accablé de fatigue, il tombe et roule à terre.

« Méchant animal, crie maître Jean l’accablant d’injures et de coups, tu n’es pas même bon pour labourer mon champ ! Maudit soit le fripon qui t’a vendu à moi ! » Tan-