Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/398

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beau plein d’ossements et la terre pleine de semences ! Que tout ce qui dort se réveille ! La foudre environne le trône de Dieu ; l’heure du jugement sonne, et la mort a trouvé des oreilles pour l’entendre.




LES DEUX MUSES


J’ai vu… oh ! dis-moi, était-ce le présent que je voyais, ou l’avenir ?… J’ai vu dans la lice la Muse allemande avec la Muse anglaise s’élancer vers une couronne.

À peine distinguait-on deux buts à l’extrémité de la carrière ; des chênes ombrageaient l’un ; autour de l’autre des palmiers se dessinaient dans l’éclat du soir[1].

Accoutumée à de semblables luttes, la muse d’Albion descendit fièrement dans l’arène, ainsi qu’elle y était venue ; elle y avait jadis concouru glorieusement avec le fils de Méon, le chantre du Capitole.

Elle jeta un coup d’œil à sa jeune rivale, tremblante, mais avec une sorte de noblesse, dont l’ardeur de la victoire enflammait les joues et qui abandonnait aux vents sa chevelure d’or.

Déjà elle retient à peine le souffle resserré dans sa poitrine ardente, et se penche avidement vers le but… La trompette déjà résonne à ses oreilles, et ses yeux dévorent l’espace.

Fière de sa rivale, plus fière d’elle-même, l’altière Bretonne mesure encore des yeux la fille de Thuiskon : « Je m’en souviens, dit-elle, je naquis avec toi chez les Bardes, dans la forêt sacrée ;

« Mais le bruit était venu jusqu’à moi que tu n’existais plus ; pardonne, ô Muse, si tu es immortelle, pardonne-

  1. Le chêne est l’emblème de la poésie patriotique, et le palmier celui de la poésie religieuse qui vient de l’Orient. (Staël.)