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POÈTES DIVERS

sance ennemie, chaque fois que l’an touche à sa fin, ne manque jamais de me le rappeler avec une satisfaction cruelle. « Vois, murmure-t-elle à mon oreille, vois combien de plaisirs, cette année, t’ont abandonné pour toujours ! Mais aussi tu es devenu plus sage, tu n’attaches désormais aucun prix à des divertissements frivoles ; te voilà de plus en plus un homme grave, un homme sans plaisirs. »

Le diable me réserve toujours pour le soir de la Saint-Sylvestre un singulier régal de fête : il prend bien son temps, puis s’en vient, avec un rire odieux, déchirer mon sein de ses griffes aiguës et se repaître du plus pur sang de mon cœur. Il se sert, à cet effet, de tout ce qui se présente ; témoin hier encore le conseiller de justice, qui se trouva être l’instrument qu’il lui fallait. Il y a toujours chez lui (chez le conseiller) grande réunion le soir de la Saint-Sylvestre ; il a la fureur, alors, de vouloir ménager à chacun une surprise agréable pour la nouvelle année, et s’y prend d’une manière si gauche et si stupide, que tous les plaisirs qu’il avait imaginés, à grand-peine, aboutissent d’ordinaire à un désappointement ridicule et pénible. Dès que j’entrai dans l’antichambre, le conseiller de justice se hâta de venir à ma rencontre, m’arrêtant à la porte du sanctuaire, d’où partaient les vapeurs du thé accompagnées de parfums exquis ; il sourit d’une façon singulière et me dit, avec tout l’air de finesse bienveillante qu’il put se donner :

« Mon bon ami, mon bon ami, quelque chose de délicieux vous attend dans le salon !… une surprise admirable, digne de la belle soirée de la Saint-Sylvestre. N’allez pas vous effrayer ! »

Ces mots me tombèrent lourdement sur le cœur ; de sombres pressentiments s’en élevèrent, et je me sentis cruellement oppressé. Les portes s’ouvrirent, je me précipitai rapidement dans le salon, et, sur le sofa, au milieu des dames, son image radieuse s’offrit à moi. C’était elle !… elle-même, que je n’avais point vue depuis tant d’années ! Tous les heureux moments de ma vie repassè-