Page:Goethe-Nerval - Faust Garnier.djvu/48

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Qu’allez-vous cependant rêver sur l’Hélicon ?
Pour plaire à ces gens-là, faut-il tant de façon ?
Osez fixer les yeux sur ces juges terribles !
Les uns sont hébétés, les autres insensibles ;
En sortant, l’un au jeu compte passer la nuit ;
Un autre chez sa belle ira coucher sans bruit.
Maintenant, pauvre fou, si cela vous amuse,
Prostituez-leur donc l’honneur de votre muse !
Non !… mais, je le répète, et croyez mes discours,
Donnez-leur du nouveau, donnez-leur-en toujours ;
Agitez ces esprits qu’on ne peut satisfaire..,
Mais qu’est-ce qui vous prend ? est-ce extase, colère ?

LE POËTE.

Cherche un autre valet ! tu méconnais en vain
Le devoir du poëte et son emploi divin !
Comment les cœurs à lui viennent-ils se soumettre ?
Comment des éléments dispose-t-il en maître ?
N’est-ce point par l’accord, dont le charme vainqueur
Reconstruit l’univers dans le fond de son cœur ?
Tandis que la nature à ses fuseaux démêle
Tous les fils animés de sa trame éternelle ;
Quand les êtres divers, en tumulte pressés,
Poursuivent tristement les siècles commencés ;
Qui sait assujettir la matière au génie ?
Soumettre l’action aux lois de l’harmonie ?
Dans l’ordre universel, qui sait faire rentrer
L’être qui se révolte ou qui peut s’égarer ?
Qui sait, par des accents plus ardents ou plus sages,
Des passions du monde émouvoir les orages,
Ou dans des cœurs flétris par les coups du destin,
D’un jour moins agité ramener le matin ?
Qui, le long du sentier foulé par une amante,
Vient semer du printemps la parure éclatante ?
Qui peut récompenser les arts, et monnayer
Les faveurs de la gloire en feuilles de laurier ?
Qui protége les dieux ? qui soutient l’empyrée ?…
La puissance de l’homme en nous seuls déclarée.