Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome I.djvu/232

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Tu peux en parler à l’aise, dis-je en moi-même : un dieu te donna pour compagne la faveur du moment ; et chacun, en ton aimable présence, se sent aussitôt le favori du destin. Moi, je redoute le signal qui m’ordonnera de te fuir : que me sert-il d’apprendre une si haute sagesse ?

Maintenant je suis loin de toi ; et ce qui convient à l’heure présente, je ne saurais le dire. Elle m’offre des choses bonnes et belles, qui ne font que me peser. Il faut que je m’en délivre. Un désir invincible m’égare ; plus de ressource que des pleurs éternels.

Coulez donc, coulez sans relâche !… Mais ils ne pourraient jamais éteindre la flamme qui me brûle. Déjà il est furieux, il est déchiré, ce cœur, où la mort et la vie se livrent un horrible combat. Il se trouverait peut-être des plantes salutaires, pour apaiser les souffrances du corps, mais l’esprit manque de résolution et de volonté ;

Il succombe, à cette pensée : « Comment pourrais-je me passer d’elle ? » Il se représente mille fois son image, qui tantôt tarde à paraître, tantôt est emportée au loin, parfois confuse, parfois dans la plus pure lumière. Comment pourraient-ils m’offrir la plus faible consolaition, ce flux et ce reflux, ces approches et ces retraites ?

Laissez-moi ici, fidèles compagnons ! Laissez-moi seul au pied du rocher, dans le marais et la mousse. Allez, le monde vous est ouvert ; la terre est vaste, le ciel majestueux et grand ; contemplez, fouillez, rassemblez chaque détail, bégayez les mystères de la nature.

Pour moi, l’univers est perdu, je suis perdu pour moi-même, qui naguère encore étais le favori des dieux ; ils m’ont éprouvé, ils m’ont prêté Pandore, si riche en trésors, plus riche en dangereuses séductions ; ils m’ont enivré des baisers de sa bouche qui donne avec délices ; ils m’arrachent de ses bras et me frap pent de mort.


RÉCONCILIATION.

La passion amène la souffrance[1]… Quelle puissance calmera le cœur oppressé qui a tout perdu ? Où sont les heures si vite

  1. Littéralement : « La passion amène le pâtir. »