Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome I.djvu/563

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moins d’amener un sens particulier, comme tu sais faire, ô poëte, plus favorisé que tous les autres.

En effet, comme une étincelle qui peut embraser la ville impériale, quand les flammes ondoient avec fureur, et, se faisant un courant d’air, s’animent par le vent qu’elles produisent, tandis que l’étincelle, déjà éteinte, a disparu dans l’espace étoile : ainsi la flamme serpente de ton sein avec des ardeurs éternelles, pour animer d’une vie nouvelle un cœur allemand.

Les rhythmes cadencés plaisent sans doute, le talent aime à s’y jouer ; mais qu’ils inspirent bientôt une affreuse répugnance, s’ils n’offrent que des masques vides, sans chair ni pensée ! L’esprit même ne voit rien en lui qui le charme, s’il n’a soin de prendre une forme nouvelle et de renoncer à l’ancienne, qui est frappée de mort.

À Hafiz.

Hafiz, s’égaler à toi, quelle folie ! Sur les flots de la mer frémissante, un navire poursuit sa course rapide ; il sent se gonfler ses voiles ; il marche fier et hardi : que l’Océan le brise, il nage, planche pourrie. Dans tes chants légers, rapides, roule un frais courant ; il bouillonne en vagues de feu : l’incendie m’engloutit. Mais je me sens une bouffée d’orgueil, qui me donne de l’audace : moi aussi, dans un pays inondé de lumière, je vécus, j’aimai.

Mystère évident.

Saint Hafiz, ils t’ont nommé la langue mystique, et ceux qui mettent dans les mots leur science n’ont pas compris la valeur de ce mot.

Ils t’appellent mystique, parce qu’à ta lecture ils ont de folles pensées, et qu’ils distribuent leur vin louche en ton nom[1].

Mais tu es vraiment mystique, car ils ne te comprennent pas, toi qui, sans être dévot, es bienheureux ! C’est ce qu’ils ne veulent pas t’accorder.

  1. Quand les dévots virent Hafiz populaire, ils cherchèrent un sens allégorique à ses poésies, pour donner le change aux lecteurs. (De Hammer, cité par Wurm.)