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Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome II.djvu/14

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vue chacun de tes regards ? La puissance que la nature a mise dans nos yeux pour enchanter l’homme ou pour l’abattre, tu l’as sacrifiée à ton amant, et tu dois t’estimer heureuse, si seulement il te regarde d’un air gracieux. Le front ridé, les sourcils froncés, le regard sombre, farouche, les lèvres serrées : quel aimable visage il montre chaque jour, jusqu’à ce que les prières, les baisers et la plainte aient chassé de son front cette fâcheuse bourrasque !

AMINE.

Tu ne le connais pas assez ; tu ne l’as pas aimé. Ce n’est pas le caprice qui obscurcit son front ; un bizarre chagrin est le tourment de son cœur, et trouble pour lui et pour moi les plus beaux jours d’été ; et pourtant je me console, parce que, s’il me voit seulement, s’il entend ma voix caressante, bientôt son caprice s’enfuit.

ÉGLÉ.

En vérité, c’est là un grand bonheur dont on pourrait se passer. Cependant nomme-moi le plaisir qu’il t’ait jamais permis. Comme le cœur te battait quand on parlait de danse ! Ton amant fuit la danse, et il t’entraîne après lui, pauvre bergère. Ce n’est pas étonnant qu’il ne te souffre dans aucune fête, puisqu’il envie à l’herbe des prés la trace de tes pas ; qu’il déteste, comme un rival, l’oiseau que tu aimes. Comment pourrait-il être tranquille, quand un autre te prend dans ses bras, et même, en tournant avec toi dans la file, te presse tendrement contre lui, et te dit tout bas des mots d’amour.

AMINE.

Ne sois pas non plus injuste, puisqu’il me laisse aller avec vous à cette fête, parce que je l’en ai prié.

ÉGLÉ.

Tu le sentiras.

AMINE.

Comment ?

ÉGLÉ.

Pourquoi reste-t-il en arrière ?

AMINE.

Il aime peu la danse.

ÉGLÉ.

Non, c’est une quinte. Si tu reviens contente, il commencera