Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome II.djvu/291

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Laissez-les vivre, séparez-les des orthodoxes, donnezleur des églises, renfermez-les dans l’ordre civil, imposez-leur des bornes : et vous réduirez sur-le-champ les rebelles au repos. Tous les autres moyens sont inutiles, et vous ruinez le pays.



LA GOUVERNANTE.

As-tu oublié avec quelle horreur mon frère a repoussé la, seule question de savoir si l’on pouvait tolérer la nouvelle doctrine ? Ne sais-tu pas comme il me recommande vivement, dans chaque lettre, le maintien de la vraie foi ? qu’il ne veut pas voir la tranquillité et l’unité rétablies aux dépens de la religion ? N’entretient-il pas lui-même dans les provinces des espions, que nous ne connaissons pas, afin de savoir ceux qui inclinent aux nouvelles opinions ? Ne nous a-t-il pas nommé, à notre grande surprise, tel et tel, qui se rendaient secrètement coupables d’hérésie dans notre voisinage ? N’ordonne-t-il pas la sévérité et la rigueur ? Et je serais indulgente ? Je lui proposerais de fermer les yeux, de tolérer ? Ne perdrais-je pas tout crédit, toute confiance auprès de. lui ?

MACHIAVEL.

Je le sais : le roi commande ; il vous fait savoir ses intentions. Vous devez rétablir le repos et la paix par un moyen qui aigrit encore plus les esprits, qui allumera inévitablement la guerre de toutes parts. Songez bien à ce que vous ferez. Les plus gros marchands sont séduits, la noblesse, le peuple, les soldats. Que sert-il de persister dans nos idées, lorsque tout change autour de nous ? Oh ! si un bon génie pouvait persuader à Philippe qu’il sied mieux à un roi de régner sur des citoyens de deux croyances, que de les détruire les uns par les autres !

LA GOUVERNANTE.

Ne tiens plus de pareils discours ! Je sais bien que la politique peut rarement respecter la bonne foi ; qu’elle bannit de nos cœurs la franchise, la bonté, l’indulgence ; dans les affaires humaines cela n’est, hélas ! que trop vrai : mais devons-nous jouer avec Dieu comme entre nous ? Devons-nous être indifférents à notre doctrine éprouvée, pour laquelle tant d’hommes ont sacrifié leur vie ? Nous faudrait-il l’immoler à des nouveautés venues on ne sait d’où, incertaines, contradictoires ?



MACHIAVEL.