Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome II.djvu/292

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N’en prenez pas de moi une idée plus défavorable.

LA GOUVERNANTE.

Je te connais, je connais ta fidélité, et je sais qu’on peut être un homme honorable et sage, quand même on a manqué le plus court, le meilleur chemin du salut de son âme. Machiavel, il est encore d’autres hommes, que je suis forcée d’estimer et de blâmer.

MACHIAVEL.

De qui voulez-vous me parler ?

LA GOUVERNANTE.

Je puis l’avouer, «Egmont m’a fait éprouver aujourd’hui un sensible et profond chagrin.

MACHIAVEL.

Comment ?

LA GOUVERNANTE.

Par son insouciance et sa légèreté accoutumées. J’ai reçu l’affreuse nouvelle, à l’instant même où je sortais de l’église, avec une suite nombreuse, dont il faisait partie. Je n’ai pu contenir ma douleur ; je me suis plainte hautement, et aie suis écriée, en me tournant vers lui : « Voyez ce qui arrive dans votre province ! Et vous souffrez cela, comte, vous dont le roi s’est tout promis ! »

MACHIAVEL.

Et qu’a-t-il répondu ?

LA GOUVERNANTE.

Comme s’il s’agissait d’une bagatelle, d’un rien, il a répliqué : « Si seulement les Néerlandais étaient d’abord tranquillisés sur leur constitution !… Le reste s’arrangerait aisément. »

MACHIAVEL.

Il a parlé peut-être avec plus de vérité que de sagesse et de piété. Comment la confiance peut-elle naître et subsister, si le Néerlandais voit qu’il s’agit plus de ses richesses que de son bien-être et du salut de son âme ? Les nouveaux évêques ont-ils plus sauvé d’âmes qu’ils n’ont mangé de gras bénéfices, et la plupart ne sont-ils pas étrangers ? Tous les gouvernements sont encore aux mains des Néerlandais ; mais les Espagnols ne laissent-ils pas voir trop clairement le plus grand, le plus irrésistible désir d’occuper