Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome II.djvu/414

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un jeune homme pauvre et obscur ; quand je santis pour vous dans mon cœur une passion irrésistible, était-ce mon mérite, ou n’était-ce pas plutôt convenance intime des caractères, secrète inclination du cœur, si vous éprouvâtes vous-même quelque penchant pour moi, et si, après un temps, je pus me flatter deposséder ce cœur tout entier ? Et maintenant…. ne suis-je pas toujours le même ? Pourquoi n’oserais-je pas espérer ?… pourquoi pas supplier ?… Un ami, un amant, que longtemps vous auriez jugé perdu, après une périlleuse et funeste navigation, voudriez-vous le repousser de votre sein, s’il revenait soudainement et mettait à vos pieds sa vie sauvée ? Et n’ai-je pas aussi flotté sur une nier ordgeuse ? Nos passions, avec lesquelles nous vivons dans une lutte éternelle, ne sont-elles pas plus affreuses, plus indomptables, que ces flots, qui entraînent le malheureux loin de sa patrie ? Marie ! Marie ! comment pouvez-vous me haïr, moi qui n’ai jamais cessé de vous aimer ? Parmi toute l’ivresse, parmi tous les accents séducteurs de l’orgueilet de la vanité, je me suis rappelé constamment ces jours fortunés, innocents, que je passais à vos pieds dans une heureuse médiocrité, quand nous avions devant nous une suite de brillantes perspectives…. Et maintenant, pourquoi ne voudriez-vous pas réaliser avec moi tout ce que nous avons espéré ? Voulez-vous refuser aujourd’hui de goûter le bonheur de la vie, parce qu’un sombre intervalle était venu au travers de nos espérances ? Non, ma chère amie, croyez-moi, les meilleurs plaisirs de ce monde ne sont pas entièrement purs ; la plus vive joie est encore troublée par nos passions, par la destinée. Nous plaindrons-nous de ce qu’il nous est arrivé comme à tous les autres, et nous rendrons-nous coupables, en repoussant cette occasion de rétablir le passé, de consoler une famille troublée, de récompenser l’action courageuse d’un noble frère et d’affermir à jamais notre bonheur ?… Mes amis, dont je n’ai pas mérité l’affection, mes amis, qui devez l’être, parce que vous êtes les amis de la vertu, à laquelle je reviens, unissez vos prières à la mienne. Marie ! (Il tombe à genoux.) Marie ! Ne connaïs-tu plus ma voix ? As-tu cessé de comprendre l’accent de mon cœur ? Marie ! Marie !



MARIE.

Clavijo !



CLAVuo. Il