Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome II.djvu/423

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Carlos, que te dirai-je ? Quand je l’ai revue, mon cœur, dans la première ivresse, a volé au-devant d’elle…. hélas ! et, quand l’ivresse fut passée, Marie m’inspira…. la compassion…. une tendre et profonde pitié : mais de l’amour ?… Écoute, ce fut comme si, dans la plénitude de la joie, la froide main de la mort s’était posée sur mon cou. Je m’efforçai d’être gai, de jouer encore l’homme heureux, devant les personnes qui m’entouraient : tout était fini ! Une géne, une angoisse !… S’ils eussent été moins hors d’eux-mêmes, ils l’auraient remarqué.

CARLOS.

Par l’enfer, par la mort et le .diable ! et tu veux l’épouser ! (Clavijo entre dans une profonde rêverie, sans répondre ) Tu es perdu, anéanti pour jamais ! Adieu, frère, et laisse-moi tout oublier, laisse-moi dévorer ma vie solitaire, après la fatalité de ton aveuglement. Ah ! le bel ouvrage !… se rendre méprisable aux yeux du monde, sans même satisfaire une passion, un désir !… Contracter, de gaieté de cœur, une maladie, qui, en consumant tes forces les plus intimes-, te rendra en même temps un objet d’horreur pour les hommes !

CLAVIJO.

Carlos ! Carlos !

CARLOS.

Qu’il aurait mieux valu ne jamais monter, pour ne tomber jamais !… De quel œil les gens verront-ils cela ? « C’est le frère ! diront-ils. Ce doit être un brave champion. C’est lui qui l’a fait saigner du nez. Clavijo n’a pas osé lui tenir tête. — Ah ! diront nos hâbleurs de la cour, on voit bien qu’il n’est pas gentilhomme !—Parbleu ! le Français aurait dû s’adresser à moi, » s’écrie, en enfonçant son chapeau sur les yeux, et se tapant sur le ventre, un drôle, qui peut-être ne serait pas digne d’être ton valet.

Clavijo. Saisi de la plus violente douleur, Use jette au cou de Carlos en versant un torrent de larmes.

Sauve-moi, mon ami !… Mon cher Carlos, sauve-moi, sauvemoi d’un double parjure, d’une immense ignominie…. de moimême ! Je meurs !



CARGOS. .