Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome II.djvu/424

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Pauvre malheureux ! J’espérais qu’ils étaient passés ces emportements de jeunesse, ces orages de pleurs, cette profonde mélancolie ; j’espérais te voir un homme désormais inébranlable, désormais affranchi de ces cruelles angoisses, qui t’ont fait répandre autrefois tant de larmes dans mon sein. Clavijo, montre que tu es un homme !

CLAVIJO.

Laisse-moi pleurer. (// se jette sur un siége.)

CARLOS.

Malheur à toi, qui es entré dans une carrière que tu ne fourniras point ! Avec ton cœur, avec tes sentiments, qui auraient fait le bonheur d’un tranquille bourgeois, fallait-il associer ce malheureux désir de grandeur 1 Et qu’est-ce que la grandeur, Clayijo ? S’élever au-dessus des autres par le rang et la dignité ? Ne crois pas cela ! Si ton cœur n’est pas plus grand que le cœur des autres ; si tu n’es pas en état de t’élever tranquillement audessus des circonstances qui tourmenteraient un homme vulgaire : tu ne seras toi-même, avec tous tes cordons et tes croix, tu ne seras, avec la couronne même, qu’un homme vulgaire. Recueille-toi ; calme-toi ! (Clavijo se lève, regarde Carlos et lui tend une main, que Carlos saisit vivement.) Allons, allons, mon ami ! et sache te résoudre. Vois, je veux tout mettre à part, et je dis : Voici deux propositions sur les plateaux de la balance : ou bien tu épouses Marie et tu trouves le bonheur dans une tranquille vie bourgeoise ; dans les paisibles joies domestiques ; ou bien tu poursuis dans la carrière de la gloire ta course vers le but prochain…. Je veux tout mettre à part, et je dis : La balance est en équilibre ; c’est ta résolution qui va décider lequel des deux plateaux l’emportera ! Fort bien ! Mais décide-toi…. Il n’y a rien de plus misérable au monde qu’un homme irrésolu, qui flotte entre deux sentiments, qui voudrait les unir, et ne comprend pas que rien ne peut les unir, si ce n’est le doute, l’inquiétude qui le.tourmentent. Allons, donne ta main à Marie, agis comme un honnête garçon, qui sacrifie à sa parole le bonheur de sa vie ; qui regarde comme son devoir