Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome II.djvu/447

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Mais aussi, où ne trouveriez-vous pas matière à vous tourmenter ?

MADAME SOMMER.

Et où n’en trouvé-je pas sujet ? Ma chère-, comme c’était différent, lorsque ton père voyageait encore avec moi ; lorsque nous jouissions en liberté du plus beau temps de notre vie, les premières années de notre mariage ! Alors tout avait pour moi le charme de la nouveauté. Et, dans ses bras, passer devant mille et mille objets, quand chaque bagatelle me devenait intéressante, par son esprit, par son amour....

LUCIE.

J’aime aussi à voyager.

MADAME SOMMER.

Et lorsqu’après un jour brûlant, après les fatigues du voyage, les mauvais chemins en hiver, nous rencontrions quelque auberge, encore plus mauvaise que celle-ci, et que nous goûtions ensemble le plus simple bien-être ; que nous nous asseyions tous deux sur le banc de bois ; que nous mangions ensemble notre omelette et nos pommes de terre bouillies.... alors c’était autrement !

LUCIE,

Il est temps enfin de l’oublier.

MADAME SOMMER.

Sais-tu ce que cela veut dire, oublier ? Bonne fille, tu n’as encore, Dieu merci ! rien perdu qui ne se pût remplacer. Depuis le moment où je fus certaine qu’il m’avait abandonnée, toutes les joies de ma vie s’évanouirent. Un désespoir me saisit. Je ne me retrouvais plus moi-même ; je ne trouvais plus mon Dieu. Je puis à peine me souvenir de cette situation.

LUCIE.

Et moi je ne me rappelle rien de plus, sinon que j’étais assise sur votre lit, et que je pleurais parce que vous pleuriez. C’était dans la chambre verte, sur le petit lit. Cette chambre est ce que j’ai le plus regretté, quand nous dûmes vendre la maison.

MADAME SOMMER.

Tu n’avais que sept ans, et ne pouvais sentir ce que tu perdais. (Entrent