Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/116

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suspects, mais, quand on les aurait accusés devant moi de telles infamies, j’aurais pris leur défense contre tout le monde. Jecomprends maintenant, belle séductrice, pourquoi tu ne voulais me voir que demain matin. Assurément elle savait que le marquis devait partir cette nuit ; mais qu’il dût la forcer de partir avec lui, elle ne le pensait pas. Elle croyait sans doute son goût pour elle passé, comme le sien pour lui. Oh ! l’abominable ! Feindre cette innocence !… Elle était devant nous comme un génie céleste, et les plus purs esprits semblaient parler par sa bouche, tandis que, lasse d’un amant, elle cherche à se pourvoir d’un autre, et, par-dessus le globe magique, jette des œillades aux hommes séduits, qui l’adorent comme une divinité. Comment dois-je mettre ordre à tout ce que j’ai entendu ? Que dois-je faire ? Le comte et la marquise ourdissent la trame la plus inouïe. Pour exécuter leur horrible dessein, ils osent abuser du nom d’une excellente princesse, et même contrefaire sa personne dans une farce scandaleuse. Tôt ou tard cela sera découvert, et, quelle que soit l’issue de l’affaire, elle sera extrêmement désagréable au prince et à la princesse. La chose ne souffre aucun délai…. Dois-je courir chez le chanoine trompé et lui ouvrir les yeux ? Il serait encore possible de le sauver ! Le collier est en pièces, mais le marquis est encore ici : on peut les arrêter, leur enlever le joyau, confondre les fourbes et les chasser sans bruit…. Bon, je vais !… Mais, quoi ?… Le ferai-je pour ce politique égoïste et froid ? Il me remerciera, et, pour l’avoir sauvé d’un affreux péril, il me promettra sa protection, m’assurera une charge considérable, aussitôt qu’il sera rentré en faveur. Cette expérience ne le rendra point sage ; il se livrera de nouveau au premier habile imposteur ; il se conduira toujours avec passion, sans jugement, sans raison et sans suite ; il me souffrira dans sa maison comme un parasite ; il avouera qu’il m’a des obligations, et j’attendrai vainement un appui réel, car, malgré ses beaux revenus, il manque toujours d’argent comptant…. (Il se promène pensif de long en large.) Homme insensé ! homme à courte vue ! Et tu ne vois pas qu’il s’ouvre ici devant toi ce chemin de la fortune, que tu as si souvent cherché en vain ! C’est à bon droit que le chanoine s’est moqué de toi aujourd’hui, comme d’un écolier ; à bon droit que le comte a indignement abusé