Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/123

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pour des années de jouissance dans cet heureux instant. Le monde est plein de vos perfections ; votre beauté, votre esprit, votre vertu, ravissent tous les hommes. Vous êtes comme une divinité ; nul ne s’en approche que pour l’adorer, que pour lui demander l’impossible : et moi aussi je suis à vos pieds, ma princesse….

LA NIÈCE.

Oh ! levez-vous, monsieur….

LE CHANOINE.

Daignez m’en tendre…. Moi aussi je suis à vos pieds, mais non pour vous prier ; j’y suis pour vous remercier, vous remercier du prodige divin par lequel vous me sauvez la vie. La Nièce, en se levant.

Assez !…

Le Chanoine, toujours à genoux et la retenant. Oui, c’est assez de paroles, déjà trop de paroles. Pardon ! Les dieux mêmes pardonnent, quand nous leur adressons de longues prières, quoiqu’ils connaissent dès longtemps nos besoins, nos désirs. Pardonnez à mes paroles ! Le pauvre mortel, qu’a-t-il de mieux que des paroles, quand il voudrait donner ce qui lui appartient tout à fait ? Vous donnez beaucoup aux hommes, auguste princesse ; pas un jour qui ne soit marqué par vos bienfaits ; mais j’ose me glorifier, dans cet heureux instant, d’être le seul qui éprouve à ce point votre faveur, le seul qui se puisse dire : « Elle t’accorde ta grâce d’une manière qui t’élève plus que ta chute ne put jamais t’abaisser ; elle t’annonce sa faveur d’une façon qui est pour toi un gage éternel de ses sentiments ; elle fait ton bonheur, elle l’affermit, elle l’éternise, et tout cela en un moment. »

La Nièce. Elle fait un mouvement en avant, qui oblige le Chanoine

à se lever.

Éloignez-vous ! On vient ! Nous nous reverrons. (En se levant elle lui a tendu la main, et, en se retirant, elle lui laisse la rose.)

LE CHANOINE.

Oui, je veux fuir maintenant ; je veux vous quitter, je veux résister au brûlant désir qui me pousse à la plus grande témérité. {Il s’approche d’elle avec transport et recule aussitôt.) Non, ne craignez rien ! Je pars, mais laissez-moi le dire, car ma vie ne