Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome III.djvu/29

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recommencerons à vivre comme auparavant et toujours de même !… Car je ne peux vivre qu’avec toi ; je ne veux vivre qu’avec toi seul. C’est là, depuis longtemps, dans le fond de mon âme, et ceci l’a fait échapper, échapper brusquement… Je n’aime que toi.

Guillaume.

Marianne !

Marianne.

Bon frère ! Pendant ce quart d’heure… je ne puis te dire tout ce qui m’a traversé le cœur… J’éprouve la même chose que l’autre jour, à l’incendie de la place du marché, que la vapeur et la fumée commencèrent par couvrir tout, jusqu’à ce que tout à coup le feu enleva le toit, et que toute la maison ne fut qu’une flamme… Ne m’abandonne pas ! Ne me repousse pas loin de toi, mon frère !

Guillaume.

Pourtant cela ne peut durer toujours ainsi.

Marianne.

C’est justement ce qui m’inquiète… Je veux bien te promettre de ne pas me marier ; je veux toujours prendre soin de toi, toujours, toujours de même… Là-haut demeurent ainsi ensemble un vieux frère et sa vieille sœur ; et je me dis quelquefois pour rire : « Que tu sois un jour aussi vieille et aussi ridée, et que seulement vous soyez ensemble !… »

Guillaume, se contenant, à demi-voix.

Si tu supportes cela, rien ne t’accablera jamais.

Marianne.

Il n’en est pas ainsi pour toi sans doute : avec le temps tu prendras bien une femme, et cela me ferait toujours de la peine, quand même je voudrais bien l’aimer aussi… Personne ne t’aime autant que moi ; personne ne peut t’aimer autant. (Guillaume essaye de parler.) Tu es toujours si réservé ! Et j’ai toujours sur les lèvres de te dire tout ce que je sens, et je n’ose pas. Dieu soit loué, que l’occasion me délie la langue !

Guillaume.

Assez, Marianne !

Marianne.

Tu ne m’arrêteras point : laisse-moi tout dire ! Ensuite je re-